Newsletter de l'équipe Conviction Equity - février 2025

Luxe : l’ultra-luxe tendance, les autres à la peine.
Luxe : l’ultra-luxe tendance, les autres à la peine
2024 n'a pas été une bonne année pour la plupart des marques de luxe européennes. Selon un récent rapport de Bain & Co1, le marché mondial des produits de luxe personnels a chuté de 2 % en 2024 pour atteindre 363 milliards d'euros, subissant ainsi sa « première contraction en 15 ans (à l'exclusion de la période Covid) »1. Un coup dur après ce qui pourrait être considéré comme un âge d'or. Comme le souligne un nouveau rapport de McKinsey, entre 2019 et 2023, le secteur a enregistré un taux de croissance annuel composé de 5 %, et les « marques les plus puissantes » ont même atteint un taux de croissance annuel composé de 11 %, soit deux fois plus2 ! Par ailleurs, les bénéfices de l'industrie du luxe ont presque triplé entre 2019 et 20242.
Qui est responsable de ce revirement ? La première réponse évidente est la Chine, qui représente un tiers du marché mondial et dont l'économie a été confrontée à des vents contraires en 2024, entraînant une baisse de 20 à 22 % des ventes de produits de luxe. Une autre explication est liée aux stratégies adoptées par les marques de luxe dans le contexte d'une inflation élevée. En effet, les marques de luxe ont décidé de préserver leurs marges en augmentant leurs prix pour compenser la baisse des volumes, comme l'explique un analyste de McKinsey3. Le consultant suggère ainsi que « la croissance exceptionnelle de 2019 à 2023 a été tirée à 80 % par une forte hausse des prix des produits de luxe »3. Mais les augmentations de prix pourraient bien avoir atteint un plafond, affectant négativement la demande des consommateurs de luxe aspirationnels.
Cela pourrait expliquer la polarisation actuelle que nous semblons observer parmi les marques de luxe, notamment les grands noms français connus sous le nom de KHOL - un autre acronyme d'investissement à la mode - pour Kering, Hermès, l'Oréal et LVMH. En effet, comme l'ont observé nos gérants de portefeuille Conviction Equity, la situation de ces entreprises est pour le moins hétérogène.
Kering : 2024 de mal en pis
Après avoir lancé plusieurs avertissements sur résultats en 2024, Kering a annoncé le départ du directeur de la création de Gucci juste avant la publication de ses résultats 2024, qui ont confirmé la chute attendue de ses ventes.
Le départ de Sabato da Sarno après seulement deux ans en poste pourrait être interprété comme un aveu de son incapacité à relancer l'attrait de Gucci, qui représente plus de 50 % du chiffre d'affaires et près de 70 % des bénéfices opérationnels de Kering4. Quelques jours après cette annonce, la publication des résultats annuels a montré que le résultat opérationnel récurrent et la marge de Kering avaient chuté de 46 % par rapport à l'année précédente, à 2,5 milliards d'euros, alors que ses ventes ont baissé de -12 %. La marge opérationnelle propre de Gucci pour 2024 s'est effondrée de 51 %, à 1,6 milliard d'euros5. Yves Saint Laurent, la deuxième marque la plus importante au sein de Kering, a également subi une baisse de -39 % de sa marge de résultat opérationnel. Seule Bottega Veneta s'en sort mieux, avec un chiffre d'affaires en hausse de 4 %. Dans le même temps, le profil d'endettement de Kering s'est aggravé, avec une dette nette en hausse de +23 % par rapport à l'année précédente.
Christophe Hautin, gérant de portefeuille Conviction Equity, a commenté « 2024 a clairement été une année difficile pour Kering et Gucci en particulier. La baisse de la demande chinoise ne peut expliquer qu'une partie de cette situation. Voyons maintenant si un changement à la tête de Gucci peut agir comme un catalyseur pour l'avenir. Les valorisations étant faibles, la nouvelle histoire pourrait devenir intéressante et offrir un point d'entrée, même si le moment n'est pas encore venu ».
Hermès : le grand gagnant
Il semble que le positionnement ultra-luxe d'Hermès l'ait protégé du ralentissement général en 2024. Les produits Hermès d'entrée de gamme sont vendus avec une prime de 30 à 40 % par rapport aux produits équivalents de ses pairs du secteur du luxe6, et la stratégie du groupe est fortement axée sur l'exclusivité et la désirabilité de ses produits, ce qui garantit que la demande dépasse largement l'offre. La société a réussi à afficher une croissance à deux chiffres de son chiffre d'affaires au troisième trimestre en glissement annuel7, alors que la plupart de ses homologues étaient en difficulté. En particulier, sa division maroquinerie a maintenu une forte dynamique (+14 % en glissement annuel) alors que la division Mode et maroquinerie de LVMH a connu une baisse de 5 %7. Ces bons résultats proviennent à la fois d'une hausse moyenne de 9 % des prix Hermès depuis le début de l'année et d'une augmentation du volume du panier moyen tant en Europe qu'en Chine7.
Cécile Hanna, gérante du portefeuille Conviction Equity, a souligné que « le titre a été en hausse de 22,4 % en 2024, et un contributeur de premier ordre à la performance relative des portefeuilles que je gère. Depuis le début de l'année, l'action a progressé de 18 % et les résultats annuels de 2024 sont solides, avec des revenus en hausse de 13 %. Nous continuons de nous attendre à une performance opérationnelle supérieure à l'avenir et nous pensons que le caractère défensif du nom, notamment en raison de son positionnement ultra-luxe et de ses solides fondamentaux, pourrait être un atout dans l'environnement de marché actuellement incertain ».
L'Oréal : au-delà du casse-tête chinois Les résultats de 2024 ont été mitigés pour L'Oréal, avec un chiffre d'affaires en hausse de 5,6 %, légèrement inférieur au consensus8. Les ventes en Asie du Nord ont notamment baissé de 3,4 %. La contraction du marché en Chine et le déclin du secteur voyage à Hainan et en Corée du Sud en sont notamment responsables, mais le groupe a également perdu des parts de marché par rapport aux acteurs locaux9. Cependant, la rentabilité du groupe a atteint un niveau record, sa marge d'exploitation atteignant 20 %, en hausse de 20 points de base, soutenue par un effet prix et mix favorable, ainsi que par de fortes efficacités de coûts8. L'Oréal prévoit une croissance de 4,0 à 4,5 % en 2025, avec une expansion des marges encore améliorée, grâce à un solide pipeline d'innovations
LVMH : l'emblème du luxe Les acteurs du marché ont été positivement surpris par les chiffres rassurants affichés par LVMH pour son quatrième trimestre, déclenchant un rallye parmi les noms du luxe européen. En effet, les ventes du groupe ont augmenté de 1 % au quatrième trimestre 2024 par rapport au troisième trimestre 2024, alors que les attentes du marché étaient de -1,25 %10. Louis Vuitton et Tiffany ont été particulièrement soutenus, avec des ventes en hausse de +9% au T411, et un mois de janvier solide a confirmé cette tendance. Symboliquement, cette nouvelle a poussé le titre à la hausse et a permis au groupede retrouver sa couronne de plus grande entreprise européenne cotée. Cependant, la marge d'EBIT pour 2024 est en baisse de 3,4 points à 23,1 %, notamment en raison d'une baisse de la rentabilité des Vins et Spiritueux plus importante que prévu au second semestre (-12 points)11. Si les acteurs du marché voulaient voir une lumière au bout du tunnel pour le secteur, la réalité est que le fleuron du luxe n'a pas encore vraiment montré de changement de direction. Selon McKinsey, la croissance du secteur du luxe devrait atteindre entre 1 % et 3 % de taux de croissance annuel composé entre 2024 et 20272, bien en deçà de la tendance 2019-2023. « La situation actuelle des KHOL est éloquente : le segment est en train de se reconfigurer. Cela signifie pour nous, gestionnaires de portefeuille, que nous devons être très sélectifs et axés sur la qualité. Dans ce contexte polarisé, trouver le moment où les noms qui ont souffert atteignent un prix plancher et sont suffissemment convaincants pour rebondir, et où les noms de l'ultra-luxe atteignent un plafond sera clé », résume Catherine Garrigues - Responsable de la stratégie Conviction Equity. La prudence devrait donc prévaloir chez les investisseurs à l'aube du défilé 2025 du segment du luxe.
et à l'expansion dans les marchés émergents, qui représentent désormais 16 % des ventes totales du groupe et un taux de croissance deux fois plus élevé que celui de l'ensemble de l'entité8. Toutefois, certains analystes, notamment ceux de Jefferies, restent prudents quant aux perspectives à court terme, car « la croissance du marché de la beauté continue de décélérer »9. Les projets de croissance de L'Oréal pourraient souffrir non seulement de la Chine ou de l'Asie, mais aussi des difficultés du marché de masse de la beauté aux États-Unis et d'une modération attendue de la croissance en Europe et dans le segment des parfums9.
* Les titres mentionnés dans le présent document le sont uniquement à titre d'illustration et ne constituent pas une recommandation ou une sollicitation d'achat ou de vente d'un titre particulier. Ces titres ne feront pas nécessairement partie du portefeuille au moment de la publication du présent document ou à toute autre date ultérieure.
1 Luxury in transition : securing future growth, Bain & Co, janvier 2025. Les données du marché sont présentées au taux de change actuel.
2 The State of Luxury : How to navigate a slowdown, 13 janvier, rapport Mckinsey.
3 Luxe : le ralentissement devrait durer au moins jusqu'en 2027, Les Echos, 13 janvier 2025
4 Kering : Le départ du directeur de la création de Gucci n'est pas surprenant ; Morningstar, 6 février 2025
5 Présentation des résultats annuels de Kering, disponible sur leur site Internet, 11 février 2025.
6 Hermès, European focus list, William O'Neil and Co, 16 janvier 2025
7 Hermès défie les vents contraires du marché, Alpha Value Baader, 25 octobre 2024
8 L'Oréal's battle for beauty in shifting winds, Alpha Value Baader, 10 février 2024
9 L'Oréal - Caution warranted, Jefferies Equity Research, 11 février 2024
10 La croissance des ventes de LVMH laisse espérer la fin de la crise du luxe, Financial Times, 28 janvier 2025
11 LVMH Back on track for a return to growth, CIC Market Solutions, 29 janvier 2025