Résumé
La revue de la directive Solvabilité 2 s'attaquera à des aspects structurels, tels qu'une mesure plus précise des engagements de passif à long terme. Les normes IFRS 9 et 17 impliqueront davantage de volatilité dans les comptes. La volatilité du résultat, les classifications comptables et la valorisation des passifs influenceront fortement la gestion d'actifs.
Solvabilité 2 : un cadre évolutif et sensible aux conditions de marché
Nous oublions parfois qu’avec Solvabilité 2, l’Europe bénéficie du cadre prudentiel le plus développé au monde dans le secteur assurantiel. La crise du coronavirus en a constitué un test grandeur nature d’une amplitude unique. En quelques semaines, les assureurs ont subi une chute des actions et une hausse des spreads de crédit à l’actif, mais aussi un aplatissement des courbes de taux valorisant de presque 10 % les passifs des assureurs-vie européens. À ceci s’ajoutent les conséquences assurantielles du confinement et les enjeux de liquidité. De ce fait, les groupes cotés ont immédiatement communiqué une baisse de 10 à 30 points de leur ratio de solvabilité, traduisant les tensions sur leur bilan économique sous Solvabilité 2.Ces dernières années, la directive a été mise à jour de façon marginale pour corriger des incohérences ponctuelles en étant parfois détournée de son cadre quantitatif strict pour orienter les investissements des assureurs vers des objectifs publics de financement tels que les projets d’infrastructures, le financement des PME et des agences européennes, au-delà du soutien historique à la dette publique des Etats membres.
D’autres évolutions comme le Long-Term Equity Investments (LTEI) ou le Own Internal Credit Assessment en 2019 sont restées plus confidentielles ou ont été reçues différemment selon les spécificités locales des bilans.
La crise est venue perturber l’agenda réglementaire de l’assurance européenne
En conséquence de la crise sanitaire, la révision 2020 de Solvabilité 2 a été ajournée. Avant même la crise, le calendrier et le programme étaient ambitieux : la révision 2020, initiée en 2019 avec deux premières consultations, devait aboutir à une troisième consultation et un avis final en juin 2020, suivis d’une proposition de texte pour la fin d’année. Le report de 6 mois devrait aboutir à des publications avancées dans le courant de l’année 2021 seulement, d’autant plus que les effets de la crise sur nombre de paramètres bilanciels ont rendu désuets les chiffres d’impact collectés ces derniers mois. Dans le même temps, l’entrée en vigueur de la norme IFRS 17, visant à harmoniser la valorisation et la performance comptable des passifs des groupes cotés, est également repoussée d’un an supplémentaire, au 1er janvier 2023, après avoir été initialement prévue en 2021 puis déplacée en 2022.
Repenser Solvabilité 2 dans le cadre des taux négatifs
À la suite de la crise de 2008, à l’époque des travaux préparatoires qui ont défini le cadre et la sensibilité de Solvabilité 2, personne n’aurait pu imaginer un monde de taux négatifs en Europe désormais voué à constituer la norme. La revue dite « de 2020 », dont les échéances devraient en réalité plutôt s’étaler sur plusieurs années à compter de cette date, sera la première mise à jour d’envergure de la directive capable de s’attaquer à des aspects structurels, quand les évolutions précédentes portaient sur des traitements spécifiques, des corrections, voire des clarifications de pratiques courantes. Les ambitions de cette revue, partagées à l’occasion des consultations et études d’impact, embarquent dix-neuf points structurels du régime dont plusieurs sujets sensibles. Ces évolutions consisteraient premièrement à mesurer de façon plus précise les engagements de passif à long terme en mettant à jour la méthodologie de leur courbe d’actualisation (méthode d’extrapolation, extension du last liquid point) et en réformant les aménagements associés (volatility adjustment, matching adjustment). Ces points ne peuvent être dissociés de la recalibration du sous-module de taux d’intérêt, dont la méthodologie montre actuellement ses limites, et d’une évolution de l’approche du risque actions dans la continuité du Long-Term Equity fraîchement inauguré. Autre volet à l’étude : l’ajout d’un angle macroprudentiel à la directive pour mieux capturer les risques systémiques que font porter les grands groupes au système et tenter de contrebalancer davantage les comportements procycliques en cas de crise majeure. Étant donné les effets significatifs sur les niveaux de fonds propres économiques, mais aussi des approches très hétérogènes de l’optimisation de la solvabilité selon les pays membres, on peut naturellement s’attendre à des échanges intenses et passionnés. L’harmonisation de pratiques locales de supervision et une meilleure proportionnalité sont justement au programme de la revue.
« L’empilement des dimensions, des objectifs stratégiques et l’apparition de nouveaux risques imposent une coordination accrue entre l’assureur et son gérant d’actifs pour servir les objectifs ALM sur toute la chaîne. » |
IFRS 9 et 17 : une nouvelle perception comptable qui change les règles du jeu
Pour les assureurs tenus de publier leurs comptes en IFRS, l’entrée en application généralisée de la norme IFRS 9, à la fin de la période d’exemption, modifiera la manière dont sont perçus les actifs au bilan. IFRS 17 définira pour sa part les normes européennes de valorisation des contrats au passif. Par définition, ces deux réformes auront un impact sur le résultat communiqué au public, impliquant davantage de volatilité dans les comptes. Les effets combinés des deux normes restent encore partiellement inconnus, notamment quant à la stratégie des groupes de réduire au maximum la volatilité de chaque côté du bilan ou d’immuniser plus globalement les variations bilancielles par poste de résultat. Quoi qu’il en soit, on peut légitimement s’attendre à ce que la volatilité du résultat, les classifications comptables et la valorisation des passifs viennent fortement influencer la gestion d’actifs. Il sera désormais nécessaire d’avoir recours à des processus de décision plus resserrés pour capturer efficacement tous ces nouveaux objectifs.
La protection des fonds propres reste essentielle dans un contexte de taux bas
L’empilement des dimensions, des objectifs stratégiques et l’apparition de nouveaux risques imposent une coordination accrue entre l’assureur et son gérant d’actifs pour servir les objectifs ALM sur toute la chaîne. La compréhension de l’impact sur le bilan de chaque opération du portefeuille par le gérant sera plus que jamais primordiale pour maintenir la capacité tactique. Au-delà de l’essentielle diversification vers l’alternatif pour freiner la dilution des rendements, il sera aussi nécessaire de se réintéresser aux portefeuilles Core. De fait, chez nombre d’assureurs, l’approche atone de buy-and-hold reste encore trop souvent la stratégie par défaut pour sécuriser un rendement courant en évitant les impacts comptables non maîtrisés. Enfin, en ce qui concerne les produits d’assurance-vie, les solutions d’épargne ou de retraite devraient voir se généraliser l’intégration de garanties hybrides, externes ou partielles, pour mieux appréhender le coût en capital de ces produits. C’est dans cette logique qu’ont été mis en place, en France, les fonds euro-croissance, qui intègrent une garantie en capital à terme. Ils annoncent probablement l’évolution de l’assurance-vie traditionnelle face aux taux bas, en faisant disparaître progressivement la frontière entre produits UC et fonds euros.
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En gestion assurantielle, l'horizon est long terme, aussi il est essentiel de bien anticiper les tendances de fonds du marché