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Objectif : maintenir le pouvoir d'achat
Dr. Hans-Jörg Naumer / 03.07.2023
Si la Réserve fédérale américaine (Fed) a pour l’heure décidé de marquer une pause dans le relèvement de ses taux d’intérêt, la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) ne laissent quant à elles planer aucun doute : la lutte contre l’inflation n’est pas encore terminée.
Même la banque centrale turque, qui avait jusqu’à présent suivi sa propre voie pour maîtriser l’inflation, a relevé ses taux d’intérêt. Et c’est une bonne chose. Le « grand rééquilibrage », un retour à l’équilibre de l’économie mondiale, est en cours et les déséquilibres qui sont apparus se matérialisent en premier lieu au niveau des prix. Il est donc d’autant plus important que les autorités monétaires déjouent les attentes inflationnistes en alliant la parole aux actes. Même la Fed ne devrait pas rester inactive très longtemps. En faisant une pause, elle n’a apparemment cherché qu’à éviter des turbulences supplémentaires sur un marché déjà malmené par les problèmes des banques régionales américaines.
Pendant ce temps, les investisseurs continuent de lutter contre la dépréciation de leurs actifs. Le retour des rendements en territoire positif est certes rassurant, mais le temps n’est pas venu de se reposer. Bien au contraire. Si l’on se réfère aux taux d’intérêt réels, qui correspondent aux taux d’intérêt nominaux après déduction de l’inflation, la situation s’est même nettement dégradée. Les observations historiques à long terme1 montrent que les taux d’intérêt réels négatifs sont rares, mais malheureusement pas inédits. Il faut toutefois remonter à la première moitié du 19e siècle pour trouver un niveau – négatif – aussi bas. En d’autres termes, si les rendements sont de retour, ils sont largement négatifs en termes corrigés de l’inflation.
On peut bien sûr objecter que ce tableau n’est qu’un instantané. Les rendements nominaux devraient augmenter lentement, alors que le pic de l’inflation semble déjà derrière nous. Tout dépend donc de l’évolution future de l’inflation. Il est cependant peu probable qu’elle revienne rapidement au niveau cible de la BCE, qui est de 2% en moyenne annuelle. Là encore, les leçons du passé sont utiles. Selon nos calculs, il faut beaucoup de temps pour que les taux d’inflation élevés reviennent à des niveaux bas. Pour parvenir à cette conclusion, nous avons examiné les régimes d’inflation observés depuis 1971 dans les pays du G7, ainsi que dans d’autres États (Suisse, Suède, Norvège, Danemark, Nouvelle-Zélande, Hong Kong, Singapour). On constate qu’environ deux ans après avoir franchi son pic, l’inflation moyenne n’avait baissé que de moitié. Après cinq ans, elle était retombée à un peu plus d’un tiers de son niveau maximum. L’inflation semble bien partie pour durer.
Mais ce n’est pas tout. D’importants facteurs de disruption devraient contribuer au maintien d’une pression inflationniste latente. Alors que la numérisation engendrera probablement des gains d’efficacité dans l’économie et permettra de remplacer une partie au moins de la main-d’œuvre, de plus en plus rare, par la technologie, la démographie, la décarbonation (c’est-à-dire la transition de l’économie mondiale vers la neutralité climatique) et la démondialisation devraient entraîner les prix à la hausse.
Cette situation suggère donc l’allocation tactique suivante pour les actions et les obligations :
- Du point de vue des investisseurs, dans un tel contexte, l’inflation perdurera pour une période prolongée. Le maintien du pouvoir d’achat devient ainsi une priorité en matière de placement de capitaux. Il est dès lors logique d’accorder une pondération plus élevée aux classes d’actifs qui permettent d’espérer un rendement réel positif en cas de hausse de l’inflation dans le cadre de l’orientation à long terme/stratégique du portefeuille.
- La durabilité est définitivement devenue une tendance d’investissement, notamment avec la pression à l’action induite par la décarbonation. À cet égard, une multitude d’études universitaires montre que l’inclusion de critères de durabilité n’est pas nécessairement défavorable2.
D’un point de vue à plus court terme/tactique, une prudence accrue semble de mise. On constate que les marchés actions manquent de largeur. Les hausses de cours de ces dernières semaines n’ont concerné qu’un nombre relativement restreint de titres. L’activité sur le marché a été dominée par le secteur technologique. - Il semble également que le marché ne se fasse pas lui-même confiance. Le sentiment des investisseurs, mesuré par Sentix, reste modéré pour les actions, tandis que dans le même temps les marchés obligataires intègrent une récession, comme le montrent par exemple les courbes des taux d’intérêt pour les États-Unis et l’Allemagne ou encore la zone euro.
- Le risque de récession aux États-Unis en fin d’année n’est pas encore écarté. Il s’agirait d’un signal important pour la Fed afin de déjouer les attentes en matière d’inflation.
- Alors que les perspectives de croissance devraient rester un facteur de tension pour les marchés actions, elles devraient plutôt soutenir ceux des obligations d’État.
Thème d’investissement : Les dimensions de la disruption.
- Le monde évolue à une vitesse inédite. L’association des moteurs technologiques, politiques et économiques crée ce que nous appelons la « disruption », qui revêt de nombreuses dimensions.
Démographie : Sur le plan démographique, le monde continue certes de croître, mais il vieillit et les taux de croissance diminuent. Depuis 2013 déjà, le nombre de départs à la retraite dans les pays industrialisés est supérieur à celui des personnes qui entrent sur le marché du travail. Et dans le monde entier, la part des 15- 64 ans dans la population totale diminue déjà. Le facteur travail se raréfie – et deviendra probablement plus cher. - Dans ce contexte, la numérisation arrive à point nommé pour remplacer au moins une partie de la main-d’œuvre manquante.
- À cela s’ajoute la lutte contre le changement climatique. L’économie mondiale doit atteindre la neutralité en matière d’émissions de gaz à effet de serre avec la décarbonation comme principal objectif. Cette transformation nécessite des investissements colossaux. Pour pouvoir émettre des gaz à effet de serre, il faut par exemple disposer de droits d’émission dans l’UE et éventuellement les acheter. S’il s’agit d’un mécanisme économiquement très efficace pour le climat, pour les consommateurs, en revanche, cela signifie que les gaz à effet de serre deviennent un facteur de coûts, alors qu’ils étaient gratuits auparavant.
- La démondialisation doit également être prise en compte. Les chaînes d’approvisionnement doivent être remplacées par des réseaux d’approvisionnement, ne serait-ce que pour prévenir les risques. Sur le plan économique, il est clair que si les avantages liés au site ne peuvent plus être pleinement exploités, cela a une incidence défavorable sur les prix.
- Pour l’investisseur, cela signifie qu’à l’exception de la numérisation, ces facteurs disruptifs devraient avoir pour effet de maintenir les taux d’inflation à des niveaux plus élevés pour une période prolongée. La préservation du pouvoir d’achat est par conséquent l’objectif le plus urgent du placement de capitaux. Et si vous investissiez dans les segments de marché qui profitent de la disruption elle-même ou qui en sont les moteurs ?
1 Source : Paul Schmelzing – « Eight centuries of global real interest rates, R-G, and the ‘suprasecular’ decline, 1311–2018 » (Huit décennies de taux d’intérêt réels dans le monde, R-G et le déclin « supraséculaire, 1311-2018 ») ; Refinitiv
2 Voir par exemple la méta-analyse « ESG AND FINANCIAL PERFORMANCE: Uncovering the Relationship by Aggregating Evidence from 1,000 Plus Studies Published between 2015 – 2020 » (ESG ET PERFORMANCE FINANCIÈRE : découvrir leur relation en agrégeant les preuves de plus de 1 000 études publiées entre 2015 et 2020), par Tensie Whelan, Ulrich Atz et Casey Clark
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Résumé
Les obligations font-elles vraiment leur grand retour ?