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Le prix des décalages de la politique monétaire
Sean Shepley / 03.04.2023
Notre réponse à la première question nous ramène aux raisons qui avaient motivé l’assouplissement quantitatif, telles qu’elles avaient été exposées en 2009 par Ben Bernanke, alors président de la Réserve fédérale. Cette stratégie visait à contraindre les investisseurs à se détourner des actifs sûrs à faible rendement afin d’enrayer un ralentissement de la demande de liquidité au lendemain de la crise financière mondiale. Les effets positifs ont tardé à se faire sentir, car les faillites bancaires en cascade avaient lourdement pesé sur les bilans, la confiance des investisseurs et, dans une certaine mesure, le fonctionnement des marchés
Dans un contexte d’inflation durablement faible, les banques centrales en sont finalement venues à considérer que cette stratégie devait être mise en œuvre lors de chaque choc économique, ce qui s’est avéré être une erreur majeure lors de la pandémie de Covid car, contrairement à 2008, la demande de liquidité a augmenté lorsque les gouvernements, mais aussi le secteur privé, ont dû agir dans l'urgence pour faire face à la crise, mettant ainsi sous pression les maigres ressources de l’économie réelle.
Il s’est ensuivi une hausse de l’inflation, puis, avec un certain décalage, un relèvement rapide des taux d’intérêt par les banques centrales et, plus récemment, des pressions sur le système bancaire lorsque les déposants, peu enclins au risque, ont mis au jour des failles dans la gestion des risques, attisant ainsi les craintes des investisseurs quant à la solvabilité des entreprises. Les petites banques américaines (également appelées « banques régionales ») ont été les plus exposées, en partie du fait de la déréglementation du secteur décidée par l’administration Trump. La multiplication des « accidents » financiers ces six derniers mois n’a donc rien d’accidentel à nos yeux : elle est simplement due aux décalages de la politique monétaire. Alors qu’avant 2020, les risques liés au cycle économique n’avaient guère évolué du fait d’une longue période d’inflation atone, nous assistons désormais à des revirements accélérés, comme en atteste la réticence des banques centrales à s’engager à resserrer davantage leur politique monétaire avant d’avoir une vision plus claire de l’impact de la pression subie par les banques sur les canaux de transmission du crédit.
Toutefois, les rapports sur les prêts de la Réserve fédérale (Fed) et de la Banque centrale européenne (BCE) ne seront pas publiés avant mai, de sorte qu’en l’absence de nouvelles perturbations, les craintes du marché quant à des tensions aiguës et à la nécessité d’abaisser les taux en urgence pourraient s’apaiser provisoirement. Cependant, le resserrement des conditions financières semble déjà amorcé. Les coûts de financement des banques sont selon nous appelés à augmenter, ce qui traduira à terme par un renchérissement des prêts pour les entreprises et les ménages. Nous tablons en outre sur un ralentissement de la croissance, qui devrait au mieux marquer le pas au second semestre, notamment aux États-Unis, où les banques régionales jouent un rôle prépondérant dans le secteur immobilier commercial.
Allocation tactique actions et obligations
- L’instabilité du secteur bancaire a pour effet d’accroître le niveau général des risques économiques et d’investissement. Nous restons globalement prudents à l’égard des actions et privilégions la zone euro et la Chine du point de vue géographique.
- Par ailleurs, nous continuons de tabler sur une surperformance des emprunts d’État « core ». Pour le moment, les banques centrales doivent encore s’assurer que la stabilité des prix est rétablie, mais si notre prévision d’un ralentissement de la croissance plus tard dans l’année se vérifie, des signes plus tangibles de la fin du cycle de hausse des taux d’intérêt devraient se faire jour.
- Bien que le dollar fasse généralement belle figure en périodes de tensions financières, les perspectives à moyen terme pour le taux de change euro-dollar nous semblent plus favorables. En effet, dans la mesure où la Réserve fédérale ne devrait pas procéder à de nouvelles hausses de taux importantes dans les prochains mois, il est de plus en plus probable selon nous que l’euro s’établisse durablement au-dessus de 1,10.
Thème d’investissement : croissance verte
- Comme l’a une nouvelle fois souligné le Forum économique mondial à Davos, le changement climatique est le plus grand défi de notre époque.
- La « décroissance », c’est-à-dire la décision consciente de renoncer à la croissance économique, n’est pas une option. La lutte contre la faim et la pauvreté doit se poursuivre, comme nous le rappellent avec force les Objectifs de développement durable des Nations unies.
- Selon les prévisions des Nations unies, la population de l’Afrique passera de 3 milliards à 4,3 milliards d’ici 2100. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d'ores et déjà à cet égard des « 3 milliards de laissés pour compte » – ces milliards de personnes qui n’ont toujours pas accès à une énergie domestique propre et doivent préparer leurs repas à feu ouvert ou à l’aide d’équipements de cuisson peu efficaces.
- La décarbonation de l’économie mondiale doit être considérée davantage comme une opportunité d’investissement que comme un facteur de coût. L’évolution démographique, l’urbanisation croissante et les pénuries de matières premières joueront également un rôle majeur dans la tendance à la décarbonation. L’intelligence artificielle (IA), l’énergie intelligente et l’efficacité énergétique, l’approvisionnement en eau et le traitement des eaux usées, ainsi que la sécurité alimentaire sont autant de thèmes d’investissement appelés à bénéficier de ces développements. D’un point de vue géopolitique, la cybersécurité offre également des perspectives d’investissement intéressantes.
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Résumé
Il y a quelques semaines, nous nous étions interrogés sur l’éventualité de voir les premières brèches apparues dans le système financier inciter les banques centrales à davantage de prudence dans leurs cycles de hausse des taux...