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À toute épreuve
Stefan Rondorf / 04.05.2023
Les marchés financiers avaient apporté une réponse claire à cette question : certains segments du marché monétaire américain anticipaient un taux directeur de 3,75% pour la fin 2023, ce qui à ce moment (mi-mars) aurait correspondu à des baisses de taux d’environ 1% (!) dans le courant de l’année.
Dans l’intervalle, la situation s’est apaisée sur le front bancaire et les attentes de baisse des taux d’intérêt ont donc elles aussi quelque peu reflué. L’injection rapide de liquidités a permis de mettre fin assez rapidement à une spirale baissière d’envergure systémique. Les banques seront toujours étroitement corrélées aux économies au sein desquelles elles opèrent. En l’absence de ce facteur déterminant qu’est la confiance, une banque ne peut pas assurer durablement sa pérennité. Pour l’heure, bien que certains établissements américains luttent pour leur survie, peu de signes indiquent cependant que le secteur bancaire traditionnel, dont la réglementation est plutôt stricte, se trouve à l’épicentre de la prochaine crise comme ce fut le cas en 2007-2009.
Parallèlement, les craintes d’une crise énergétique et d’une récession hivernale en Europe se sont définitivement dissipées. En Chine, l’économie intérieure se remet rapidement en marche. Aux États-Unis, le secteur tertiaire en particulier résiste jusqu’à présent immuablement aux mesures visant à refroidir l’économie initiées par la Réserve fédérale (Fed). La consommation reste quant à elle suffisamment soutenue. Les ménages semblent toujours pouvoir faire appel à l’épargne accumulée durant la pandémie et le marché du travail, très robuste, génère une masse salariale confortable pour les ménages.
D’un autre côté, cela signifie que la lutte contre l’inflation n'a guère progressé. L’inflation sous-jacente, représentée par les dépenses de consommation des ménages (« Core PCE »), mesure privilégiée par la Fed, atteint un taux annuel de 4,6%, soit plus de deux fois l’objectif de 2%. D’autres méthodes de mesure comme l’indice des prix « rigides » rarement ajustés de la Fed d’Atlanta signalent même des taux de renchérissement supérieurs à 6% en comparaison annuelle.
À l’échelle mondiale, la croissance paraît quant à elle plus résistante que prévu, de sorte que les inquiétudes entourant une récession aux États-Unis et ailleurs sont un peu moins répandues qu'il y a quelques mois. Mais le cycle conjoncturel est-il à toute épreuve ? Pas vraiment. D’une part, l’impact des relèvements de taux d’intérêt déjà opérés devrait peu à peu se faire plus fortement ressentir. D’autre part, quelques (rares ?) nouvelles hausses de taux ne sont pas à exclure, notamment de la part des retardataires en matière de normalisation comme la Banque centrale européenne (BCE). Après les tensions qu'a connues le secteur bancaire, les conditions d’octroi de crédit pourraient se durcir dans des régions clés – une tendance déjà à l’œuvre chez certaines banques avant les récents événements. Au sein de l’industrie manufacturière, des signes de ralentissement s’observent également en ce qui concerne les nouvelles commandes, bien que la production soit encore soutenue par les carnets de commandes existants.
Cette situation se répercute progressivement sur l’évolution des bénéfices des entreprises : tant les chiffres d’affaires que les marges bénéficiaires s’inscrivent en repli par rapport à leur niveau extrêmement élevé de l’année précédente. En leur qualité de participations « réelles » dans des entreprises, les actions peuvent néanmoins exploiter leur capacité à répercuter rapidement, dans une certaine mesure, les hausses de prix sur leurs clients.
En comparaison à plus long terme, la croissance des chiffres d’affaires ainsi que les marges semblent jusqu'ici demeurer robustes.
S'agissant de l'allocation d'actifs, cela implique les conséquences suivantes pour les investisseurs :
Les marchés d’actions – Europe en tête – ont récemment donné l’impression d’être en mesure de gravir le « mur des inquiétudes ». Plus longtemps la conjoncture paraît à toute épreuve, plus haut ils pourraient grimper. Mais il existe toujours des arguments très solides en faveur de perspectives nettement plus houleuses. Nous conservons pour l’instant un positionnement prudent et, sur le plan régional, privilégions les marchés européens et asiatiques.
Plus le chemin est cahoteux, plus les opportunités sont grandes que les emprunts d’État fassent office de valeurs refuges. L’incertitude quant au nombre de relèvements de taux qui seront encore effectués par les principales banques centrales reste toutefois bien présente. La lutte contre l’inflation devrait davantage s’apparenter à un marathon.
Des devises telles que l’euro ou le yen pourraient s’apprécier si la Fed signalait un ralentissement du cycle de hausse des taux un peu plus tôt que d’autres banques centrales. Concernant ces établissements, nous entrevoyons un potentiel encore plus élevé de durcissement de la politique monétaire.
Je vous souhaite un état d’esprit à toute épreuve pour les semaines à venir.
Thème d’investissement : dividendes – La stabilité en périodes de turbulences
- La reprise des distributions de dividendes après la pandémie de 2020 s’est poursuivie en 2022. La part des entreprises du STOXX Europe 600 qui versent des dividendes n’a certes pas encore renoué avec le niveau de 2019, avant la pandémie, mais elle a continué de progresser l’année dernière pour venir tutoyer le seuil de 90%. Au sein du S&P 500 par contre, la part des entreprises distribuant des dividendes a déjà presque retrouvé ses niveaux prépandémie.
- Les investisseurs en actions européennes ont notamment profité de distributions élevées par le passé, lesquelles ont contribué à stabiliser la performance globale lors des années de performances négatives, comme en témoigne l'analyse des données pour la période 1978-fin 2022, découpée en tranches de cinq ans. Les dividendes ont permis de compenser une partie des pertes en termes de rendement annualisé sur cinq ans.
- Sur l’ensemble de la période comprise entre 1978 et fin 2022, les dividendes ont contribué au rendement global annualisé des actions du MSCI Europe à hauteur d’environ 35%. En Amérique du Nord (MSCI Amérique du Nord) et dans la région Asie-Pacifique (MSCI Pacifique), la performance globale a été déterminée pour plus d’un quart par les dividendes (26% et 31% respectivement).
- Les dividendes fluctuent généralement moins que les bénéfices des entreprises, comme le montrent clairement nos calculs internes basés sur les données de Robert Shiller1.
- L’analyse des données historiques en témoigne : les dividendes flanchent certes parfois en périodes de crise, comme celle de la pandémie, mais ils présentent une fiabilité certaine, une qualité très appréciée en période de turbulences. Ils contribuent par ailleurs largement au rendement global.
1 Shiller, Robert ; U.S. Stock Markets 1871-Present and CAPE Ratio (Les marchés boursiers américains et le ratio CAPE de 1871 à nos jours) ; http://www.econ.yale.edu/~shiller/data.htm ; dernière vérification le 26 avril 2023. Le téléchargement précédent avait eu lieu en décembre 2021.
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Résumé
Rien n'est plus sensible que les prix face à un déséquilibre entre l'offre et la demande. Ainsi, l'envolée spectaculaire de l'inflation n'est en fin de compte que le fruit de chocs considérables, que ceux-ci soient de nature budgétaire, monétaire ou pandémique.